• La Normandie dans la Guerre de Cent Ans

    (XIVe et XVe siècles)

     

    Quand éclate en 1337 la fameuse Guerre de Cent Ans, opposant les royaumes de France et d’Angleterre, la Normandie n’est pas à l’origine du conflit.

     

    Par contre, par sa richesse et son passé anglo-normand, elle en devient rapidement un enjeu.

     

    En 1346, le roi d’Angleterre Édouard III et son armée débarquent dans le Cotentin, traversent toute la région en pillant et détruisant tout sur leur route.

     

    Les Anglais retournent dans leur île après avoir remporté la bataille de Crécy en Picardie.

    La peste noire touche la Normandie dès 1348 et provoque des épidémies récurrentes dans la région.

     

    Conjuguées aux dévastations de la guerre et aux famines, la peste fait des ravages parmi la population de la région.

     

    Ce contexte difficile provoque des émeutes populaires à Rouen contre les impôts en 1382.

    La Normandie fut le théâtre d’une violente opposition entre le roi de France Jean le Bon etCharles le Mauvais, roi de Navarre.

     

    Ce dernier était le petit-fils de Philippe le Bel par sa mère et faisait valoir ses droits sur le trône de France.

     

    Il possédait des terres en Normandie, en particulier le comté d’Évreux, et a profité de la Guerre de Cent Ans en faisant jouer l’alliance anglaise.

     

    Après avoir agrandi ses domaines normands par le traité de Mantes le 22 février 1354, Charles le Mauvais est emprisonné à Château-Gaillard, mais s’en évade le 9 novembre 1357.

     

    Il attise l’agitation antifiscale en Normandie.

     L’armée française commandée par Bertrand du Guesclin le bat finalement à Cocherel le 16 mai 1364.

     

    Par le traité d’Avignon en mars 1365,Charles le Mauvais abandonne au roi de France CharlesVses possessions normandes en échange de la ville de Montpellier.

    Après un répit de quelques années, la guerre de Cent Ans reprend et concerne davantage la Normandie que sa première phase.

     

    En août 1415, le roi d’Angleterre HenriV débarque dans l’estuaire de la Seine pour reconquérir ses terres patrimoniales ancestrales.

     

    Il assiège la ville d’Harfleur qui finit par tomber.

     

    Puis, il défait les Français à Azincourt.

     

    Après un séjour en Angleterre, Henri V retourne en Normandie mais cette fois dans l’objectif de conquérir toute la région, voire plus. En 1419, la capitale, Rouen, tombe.

     

    Les Anglais mettent la main sur une bonne partie

    du royaume de France.

     Par le traité de Troyes signé en 1420, Henri V obtient la main de Catherine, fille du roi de France Charles VI; à la mort de ce dernier, HenriVou son fils deviendra roi de France et d’Angleterre.

     

    En 1422, Henri V et Charles VI meurent.

     

    Comme HenriVIn’est encore qu’un nourrisson, c’est le duc de Bedford qui assume la régence.

     

    Il crée l’université de Caen en 1432 et tente de ménager les particularismes des Normands.

     

    La noblesse, le clergé et la bourgeoisie dans leur grande majorité s’étaient ralliés au roi Plantagenêt, dont le règne paraissait légitime comme duc de Normandie ainsi que comme roi de France.

     

    Mais la pression fiscale qu’il impose suscite le mécontentement.

    Bedford intervient pour que Jeanne d’Arc soit condamnée à mort. Le 30 mai 1431, capturée au siège de Compiègne,

    elle est« vendue »aux Anglais et brûlée vive après un long procès à Rouen. Ses cendres sont dispersées dans la Seine.

     

    En 1434, les impôts exigés par les Anglais pour financer leurs campagnes provoquent un climat insurrectionnel dans toute la région.

     

    Au printemps 1449, les offensives des armées de Charles VII de France dans le Cotentin, en Basse-Seine et dans le centre de la Normandie marquent le début de la reconquête capétienne.

     

    L’occupation anglaise de la Normandie prend fin en 1450 après la bataille de Formigny que remporta le connétableArthur de Richemont dans le Calvados actuel.

     

    Cherbourg est la dernière ville libérée dans l’été 1450.

     

    Les élites se rallient à la dynastie capétienne et les églises se couvrent de fleurs de lis pour le signifier.

     

    La reconstruction des bâtiments endommagés ou détruits par la guerre peut débuter.

     
     
     

    Révolte de Monsieur Charles

    Monsieur Charles, apanagé en Normandie, veut régner sur son duché que lui a confisqué son frère aîné le roiLouis XI.

     

    En conflit avec lui, il se réfugie chez le duc François II de Bretagne. Ensemble, ils ordonnent une campagne en Normandie en 1467-68.

     

    Mais après des succès initiaux, l’armée bretonne rentrera à la maison et une trêve sera signée à Ancenis entre les belligérants.

     

     

    sources :

    http://cgs-61.kazeo.com/la-Normandie-devenue-Francaise,r200411.html

     


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    Pendant environ soixante-dix ans, les Vikings assaillent les côtes de la Manche et les rives de la Seine.

     

    Malgré leur faible nombre, ces envahisseurs bousculent la défense franque et réussissent à s’installer dans la région qui deviendra la Normandie, la seule implantation durable des Scandinaves dans le royaume de France.

     

    En 911, leur chef Rollon devient comte de Rouen. Quels sont les secrets de ce succès ?

      

    - Après une première tentative avortée en l’an 820, une flotte viking s’engage dans l’estuaire de la Seine le 12 mai 841. Comment se déroule ce premier raid en Normandie ?


    - Les moines de Fontenelle ont succinctement relaté l’événement dans leurs annales. Le 12 mai, les Vikings entrent dans l’estuaire de la Seine ; le 14 ils sont à Rouen qu’ils mettent à sac pendant deux jours. La ville est finalement incendiée. Les moines de l’abbaye Saint-Ouen ont juste le temps de s’enfuir avec les reliques de leurs saints. Les envahisseurs ne s’enfoncent pas plus loin dans le royaume et préfèrent redescendre le fleuve. Au passage, l’abbaye de Jumièges est pillée tandis que sa voisine, Fontenelle, obtient d’être épargnée contre le paiement de six livres d’or par la communauté monastique.

     

    Puis une délégation de moines de Saint-Denis rencontre les envahisseurs et négocie le rachat de 68 captifs.

     

    A la fin du mois, les Vikings ont regagné la mer.

     

      

     

      

    Reconstitution d'un bateau viking au Puy du Fou (Ludo29880 sur Flickr)

     

     

      

    - Quelles motivations guidaient les Vikings à s’aventurer si loin de leur pays ?
     

    - Les raisons sont multiples. Régis Boyer, spécialiste des civilisations nordiques, met en avant l’appât du gain. Les Vikings razzient l’or, l’argent et les esclaves qu’ils comptent rapporter en Scandinavie. C’est pourquoi ils attaquent de préférence les monastères et les places marchandes.

     

    Les assaillants trouvent un contexte favorable à leurs opérations : les villes – ne parlons pas des abbayes – sont mal défendues et le roi Charles le Chauve, petit-fils de Charlemagne, doit faire face à de multiples dangers.

     

    Les Bretons poussent à l’ouest, l’Aquitaine menace de faire sécession tandis que l’aristocratie revendique de nouveaux pouvoirs.

     

    - Les Vikings qui assaillent la Normandie viennent principalement du Danemark. La situation politique de ce pays favorise aussi les expéditions vers l’Occident…

      

    - A cette époque, au IXe siècle, le Danemark a un roi mais, pour autant, ce n’est pas un véritable royaume. Les clans de l’élite guerrière s’affrontent pour accéder au trône ou pour dominer leurs voisins.

     

    Cette compétition oblige de nombreux aristocrates scandinaves à monter des expéditions en Occident pour démontrer leur bravoure, pour prouver leur capacité de commandement et pour s’enrichir.

     

    Autant d’atouts indispensables pour ensuite conquérir le pouvoir au Danemark.

      

    - Quelles tactiques emploient les Vikings pour réussir leurs opérations de pillage ? On a souvent parlé de l’effet de surprise.
     

      

    - Oui, cela peut être une explication, surtout dans les premiers temps, lorsque les Vikings pratiquent des raids brefs pendant la belle saison et repartent en Scandinavie une fois leurs bateaux chargés de butin. Cependant, quand ils remontent les fleuves, se mettent à assiéger plusieurs jours les villes et à hiverner sur des îles de la Seine – nous savons qu’ils montèrent des camps au niveau de Jeufosse et d’Oissel -, l’effet de surprise disparaît. Par contre, reste la peur. Les envahisseurs osent s’en prendre aux choses les plus sacrées (église et clercs), provoquant l’effroi des autochtones. A tel point qu’au bout d’une dizaine d’années, ils n’ont plus besoin de piller. Les monastères, les villes et même le roi consentent à leur verser des tributs pour leur départ, les danegelds.

      

     Abbaye de Jumièges

     

      

    Les Vikings incendièrent à plusieurs reprises l'abbaye de Jumièges. Les murs de l'église saint-Pierre conserveraient sur ses murs des traces de combustion rappelant cette époque troublée

    (source : Ho Vista Nina Volare sur Flickr).

      

     

    Afficher l'image d'origine 

     

    - Parmi les mesures défensives, le roi Charles le Chauve édifie le pont fortifié de Pîtres, à hauteur de la ville actuelle de Pont-de-l’Arche. En quoi consiste cet ouvrage ? Est-il efficace ?


    - Installé au-dessus de la Seine, le pont de Pîtres a pour rôle de bloquer toute remontée de flotte ennemie en amont de Rouen. Aux extrémités du pont, un châtelet défend chaque entrée.

     

    D’après l’archéologue Jacques Le Maho, les travaux commencent en 862 mais sont retardées par de nouvelles expéditions vikings. Le pont est terminé vers 873. Il semble produire des effets puisque dans la décennie suivante, les Scandinaves ne remontent plus la vallée de la Seine.

     

    L’Angleterre devient leur nouvelle cible. Mais à partir de 884, les sources n’évoquent plus le pont de Pîtres et l’année suivante, une immense flotte viking menée par le chef Sigfrid – environ 700 navires – remonte la Seine et entreprend le siège de Paris, preuve que l’ouvrage fortifié n’a pas constitué un obstacle suffisant.

     

    - Comment expliquer finalement l’échec de la défense franque ? Les Vikings ne sont pas mieux armés que leurs adversaires ; ils ne sont pas plus nombreux !


    - Les Carolingiens paient notamment leurs absence de flotte. Les Vikings naviguent impunément sur les mers et les fleuves.

     

    L’armée carolingienne, longue à mobiliser, échoue face à des adversaires plus mobiles qu’elle.

     

    En cas de danger, les Vikings se replient dans leur bateaux. Ils n’étaient pas poursuivis.

     

    L’impuissance du roi Charles le Chauve apparaît au grand jour quand il est contraint de payer des Vikings pour chasser d’autres Vikings qui campent sur l’île d’Oscellus. Wéland et sa bande reçoit ainsi 5 000 livres des Francs. Aussitôt payé, ils entreprennent en 861 le blocus de l’île d’ Oscellus. Au début de l’hiver, les Vikings assiégés se rendent ; Wéland leur accorde la vie sauve et l’hivernage dans la basse-Seine en contrepartie de 6000 livres. Le mercenaire scandinave a fait fortune.

     

    - Après une période d’accalmie, les invasions scandinaves reprennent dans la région à partir de 885. Comment le roi carolingien Charles le Simple résout ce problème récurrent ?


    - Il traite avec le chef viking Rollon. Nous ne savons rien de certain sur ce personnage ; l’historiographie place son arrivée en Normandie en l’an 876. A force de multiplier les raids, sa bande de Vikings n’arrive probablement plus à soutirer beaucoup d’argent d’une région épuisée par les pillages et les tributs. Rollon commence donc à exploiter directement le pays, à le coloniser et à le contrôler. Incapable de s’en débarrasser, Charles le Simple décide de s’en faire un allié. Il lui abandonne tout le pays entre l’Epte et la Manche, dont Rouen. En échange, Rollon doit accepter de se convertir au christianisme et de protéger le royaume contre de nouveaux envahisseurs. C’est le traité de Saint-Clair-sur-Epte, conclu en 911. Cet accord s’avère un bon coup politique, car Charles le Simple aura la paix jusqu’à la fin de son règne, du moins du côté normand.

     

    - Ce traité marque la naissance de la Normandie…


    - Oui, car le territoire cédé à Rollon et peuplé par ses compatriotes nordiques, prendra le nom de Normandie, « le pays des Normands », c’est-à-dire des hommes du Nord.

     

    - Quel est l’état de la Normandie quand Rollon accepte le traité de Saint-Clair-sur-Epte ?


    - Les premiers historiens normands, notamment Dudon de Saint-Quentin, ont répandu l’image d’une région désertée suite aux raids vikings. Aujourd’hui l’historiographie se montre plus mesurée. Oui, la future Normandie fut durement éprouvée, oui les élites et les communautés monastiques ont fui mais aucune ville n’a disparu, l’archéologie rurale n’a pas mis en évidence une rupture brutale dans l’occupation du sol pendant cette période troublée.

     

    - L’archéologie a retrouvé peu de témoignages matérielles d’une présence viking en Normandie. Des dragages dans la Seine ont juste permis de retrouver quelques armes. Où sont les traces de l’empreinte nordique ?

     

    - L’héritage le plus notable se situe dans la toponymie. Regardez combien de noms de lieux qui, en Cotentin, dans la Plaine de Caen, en Roumois ou en pays de Caux, trahissent une origine scandinave. Ce sont notamment tous ces toponymes qui se terminent par -tot, par -fleur, ou par -beuf : HonfleurHarfleurBarfleurQuillebeufElbeufYvetot… Il y a en a des centaines parmi les hameaux, les villages et les villes de Normandie.

      

     

    Honfleur. Son nom, composé des mots norrois horn et floth, signifierait « l'embouchure du tournant ».

      

    Le port d'Honfleur

     

      

    - Ce sont les preuves d’une colonisation viking ?


    - Oui avec cette réserve qu’un toponyme viking ne signifie pas obligatoirement un peuplement viking. Il peut simplement désigner un village peuplé d’autochtones, mais rebaptisé parce que le chef est scandinave. A la suite de Lucien Musset, les historiens considèrent que les envahisseurs étaient peu nombreux, peut-être quelques dizaines de milliers.

      

    - Les Vikings ont aussi laissé leur empreinte dans la langue…

    - C’est à relativiser. Environ deux cents mots vikings sont passés dans le patois normand et une infime minorité se retrouve aujourd’hui dans le français. Ce vocabulaire tourne généralement autour de la mer et sert à décrire les littoraux, les éléments d’un bateau, ou l’activité de pêche… Saviez-vous que bâbord, tribord, quille, hublot sortent de la bouche des Scandinaves ?

     

    - En fin de compte, l’héritage viking s’avère modeste. C’est assez paradoxal car les Scandinaves sont tout de même à l’origine du duché de Normandie.

    - Oui, c’est un paradoxe. Mais il s’explique facilement. Les Vikings qui se sont installés en Normandie ont fait le choix de l’intégration. Ils se sont convertis au christianisme, ont épousé les autochtones, ont abandonné leur langue et ont repris le cadre administratif et judiciaire carolingien. Un siècle après leur installation, leur originalité s’était diluée.

      

      

    A lire

    • Pierre Bauduin, « Des raids scandinaves à l’établissement de la principauté de Rouen » in Elisabeth Deniaux, Claude Lorren, Pierre Bauduin, Thomas Jarry, La Normandie avant les Normands de la conquête romaine à l’arrivée des VikingsCaen Ouest-France, 2002
    • « Les Vikings en France », Dossiers d’Archéologie, n°277, octobre 2002
    • Jean Renaud, Les Vikings en France, Ouest-France, 2000
    • Vincent Carpentier, « Les Vikings en Normandie», Dossiers d’Archéologie, n°344, mars 2011

      

    SOURCES :

      

    HISTOIRE de la NORMANDIE - article écrit Par Laurent Ridel

     

      

      

    http://www.histoire-normandie.fr/les-invasions-vikings

    photos ajoutées google

     

      http://idavoll.e-monsite.com/pages/cartotheque/carte-des-raids-vikings-en-france.html

     


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  • Jean Marc Berlière et François Le Goarant de Tromelin 
    LIAISONS DANGEREUSES. MILICIENS, TRUANDS, RÉSISTANTS. PARIS, 1944
    Perrin, 2013,

    dimanche 17 mars 2013, par Joël Drogland

     

     

    Jean-Marc Berlière, professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université de Bourgogne, est un spécialiste de la France sous l’Occupation et de l’histoire de la police. Parmi ses principales publications : 

    La naissance de la police moderne(Perrin, coll. « Tempus », 2011), Policiers français sous l’Occupation (Perrin, coll. « Tempus », 2009, édition revue, corrigée et augmentée de Les policiers français sous l’Occupation Perrin, 2001.), Liquider les traîtres. La face cachée du PCF clandestin, 1941-1943(avec Frank Liaigre), Robert Laffont, 2007, Le sang des communistes. Les bataillons de la jeunesse dans la lutte armée, automne 1941 (avec Frank Liaigre), Fayard, 2004. Et, plus récemment, Ainsi finissent les salauds. Séquestrations et exécutions clandestines dans Paris libéré (avec Franck Liaigre), Robert Laffont, 2012.
    François Le Goarant de Tromelin consacre ses recherches à la Milice et aux mouvements collaborationnistes.

    Produit de plusieurs années de recherche, du dépouillement de milliers de pages d’archives publiques (archives de la Préfecture de police, archives de la Cour de justice de la Seine, archives du Service historique de la Défense, archives de la Justice militaire, archives de la Sûreté nationale etc.) et privées, mais aussi du recueil des témoignages de quelques acteurs, fruit d’un travail dont il tient à souligner le caractère rigoureux et méthodique, Jean-Marc Berlière nous propose un nouvel ouvrage qui ne fera sans doute que conforter ceux qui, dans le monde des historiens professionnels, lui reprochent une passion qu’ils jugent trop abusive pour les archives « de la répression », mais qui plaira à tous ceux qui s’intéressent aux réalités de l’Occupation et qui pourront profiter d’une démonstration d’analyse critique de documents.

    Approcher la vérité, même si elle dérange, par la recherche dans les archives et la critique des documents

    Jean Marc Berlière a fréquemment critiqué ce qu’il estime être une véritable « désertion des archives publiques ou autres par des historiens professionnels qui préfèrent travailler sur des concepts plutôt que sur des sources alors qu’elles se multiplient  ». Il a la conviction forte que « la recherche obstinée et sans concession de la vérité doit être la première des tâches des historiens  » et que l’histoire « est une quête -toujours remise en cause- incessante, obstinée, sans a priori, de la vérité  ». Mais l’histoire « est d’abord une éthique  » et la quête de la vérité aboutit presque toujours à « remettre en cause des légendes bien établies, des certitudes forgées sur des preuves des témoignages jamais remis en doute parce qu’ils participent à un degré ou un autre du "sacré" et de la foi. » L’histoire est enfin, c’est le troisième élément de la définition qu’il propose dans sa conclusion, «  une technique, une « science humaine » fondée sur une méthode éprouvée -critique interne, critique externe, croisement systématique de toutes les sources, documents, témoignages -… au risque, dès lors que les vérités mises au jour ne correspondent pas à la vulgate, aux romans familiaux et nationaux, aux pieuses légendes répétées depuis des lustres, de susciter ire et incompréhension, insultes, voire menaces. » En nous livrant ici une leçon de méthode, Jean Marc Berlière fait allusion aux critiques dont il est souvent l’objet. Il reproche aux historiens professionnels les plus réputés, en particulier ceux qui ont dirigé le Dictionnaire historique de la Résistance, de rester soumis à leurs a priori idéologiques, de ne pas vouloir voir ou même de ne pas vouloir chercher des vérités qui dérangent, de reprendre de livre en livre des versions consensuelles et compatibles avec une vision sacralisée et mythifiée de la résistance. Silence ou complaisance seraient ainsi les obstacles aux progrès historiographiques.

    Un ouvrage dense, étonnant, dérangeant

    Forts de cette éthique, adeptes d’une méthode rigoureuse de critique des documents qu’ils exercent souvent explicitement pour le lecteur, Jean Marc Berlière et son collègue mettent en évidence dans cet ouvrage des vérités qui sont effectivement troublantes et dérangeantes. Au fil des pages se « dessine une réalité où toutes les frontières sont brouillées, où apparaissent de surprenantes compromissions, d’impudents retournements de veste et de choquantes complicités  » entre miliciens, truands et quelques résistants. La construction de l’ouvrage est astucieuse, plus proche en apparence du roman policier que de la thèse universitaire. Les chapitres s’imbriquent et se complètent, éclairant progressivement une réalité de plus en plus complexe, dévoilant des personnages qui jouent souvent un double ou triple jeu. Il s’agit cependant d’un ouvrage des plus sérieux, au contenu très dense, qui exige du lecteur une réelle et constante concentration s’il veut intégrer l’ensemble des situations, des acteurs et des données. Les auteurs ont appuyé en permanence leur démonstration sur les sources primaires, ce qui les conduit à multiplier les notes de bas de page souvent très longues et complexes qui conduisent le lecteur sur des chemins adjacents. Au texte principal, qui inclut ces nombreuses et longues notes (275 pages), s’ajoutent 60 pages de notices biographiques d’une extrême précision, 20 pages de notes de fin d’ouvrage, une liste des sources, des références filmographiques et bibliographique, ainsi qu’un index.

    Le point de départ (chapitre 1) est le récit de l’arrestation d’un homme alors connu sous son pseudonyme de Mansuy dans les salons de l’Hôtel de Ville de Paris, le 25 août 1944, alors qu’y arrive le général de Gaulle. Cet homme est arrêté par des résistants du 2e Bureau FFI qui croient avoir reconnu en lui un milicien. Il est venu à l’Hôtel de Ville avec un groupe de FFI récemment constitué et il est porteur d’une lettre émanant d’un commandant FFI, affirmant qu’il fait partie de la résistance et lui a rendu de nombreux services, par exemple en entrant sur ordre à la Milice. Les responsables FFI qui l’arrêtent l’exécutent rapidement et font disparaître le corps, puis donnent une version mensongère de l’affaire. Qui était-il réellement et que venait-il faire à l’Hôtel de Ville ? Que craignait-on qu’il révéla ? Le chapitre 2 dresse le portrait de cet homme qui est un truand, un tueur, un milicien, un agent allemand, l’assassin de Georges Mandel, mais aussi un FFI qui prétend avoir été un agent du 2e Bureau infiltré dans la Milice. On apprendra par la suite qu’il est aussi l’un des assassins de l’un des membres du commando de résistants qui a exécuté Philippe Henriot. À partir de là les auteurs nous conduisent dans une triple direction : l’assassinat de Georges Mandel (chapitres 3 et 4), l’exécution de Philippe Henriot (chapitre 5) et enfin l’étude des composantes et des activités troubles de curieux groupes de résistants FFI (chapitres 6 et 7). À mesure qu’il met en évidence la complexité des personnages (truands et miliciens, truands et résistants, miliciens, truands et résistants se connaissant et fréquentant les mêmes bars et hôtels louches) et des activités (truands devenus miliciens pratiquant l’escroquerie, le vol, le chantage, le recel mais aussi truands devenus résistants ayant gardé leurs habitudes, mais encore authentiques résistants ayant adopté des méthodes de truands), les auteurs démontent les étapes de la fabrication des héros et des légendes, en opposant rigoureusement les réalités dévoilées par la critique des documents et les versions inscrites sur les attestations de résistance, ou aujourd’hui sur certains sites Internet souvent créés par la famille de ces « résistants ».

    L’assassinat de Georges Mandel : le tueur

    Ce « Mansuy » s’appelait en réalité Maurice Solnlen. Il a fait dès ses 20 ans « des débuts modestes dans la délinquance : escroc médiocre, proxénète bas de gamme  ». L’Occupation venue, il « comprend vite les opportunités qu’offre la situation à des voyous entreprenants et sans scrupules  ». Il se lance dans divers trafics favorisés par la pénurie et le marché noir, entre en relation avec des groupuscules collaborationnistes et les services allemands, et se spécialise dans les affaires de « faux policiers », « s’emparant, sous la menace d’arrestation, de torture, de déportation, de butins parfois considérables sous la forme de bijoux, valeurs, lingots et pièces d’or, pierres précieuses, tableaux, objets d’art, tapis, mobilier, vins et liqueurs, chez des proies choisies pour leur aisance et leur fragilité, chez lesquelles ils débarquent à l’improviste, de façon spectaculaire et violente  ». Il devient riche, multiplie les relations, et se fait aussi une réputation de tueur discret et compétent, ainsi que de tortionnaire. Il intègre la Milice révolutionnaire française, organisation collaborationniste de Pierre Costantini et travaille, au moins occasionnellement, pour le SD allemand. Il franchit encore un pas en intégrant le Deuxième service de la Milice de Darnand, service qui travaille avec des brigades de police française spécialisées et aussi avec des services allemands. On y trouve des policiers révoqués, des délinquants, mais aussi d’anciens adhérents des classes moyennes à des formations d’extrême droite, avant-guerre. Ils ont tous étés attirés à la Milice pour des raisons moins idéologiques qu’intéressées : voiture, laissez-passer, armes, impunité, bénéfices, les Juifs constituant des proies rêvées et sans risque. Il est resté cinq à six mois dans ce service de la Milice et y a été mêlé à plusieurs assassinats. Au printemps 1944, il prépare sa reconversion et recherche des contacts avec la résistance et se donne désormais le rôle d’un résistant qui aurait sur ordre du 2e Bureau (lequel ?) pénétré la Milice. Dans cette nouvelle fonction il exécute ou fait exécuter quelques miliciens et informateurs, sauve quelques Juifs et résistants et fournit des armes à la veille de l’insurrection parisienne. Il prétendra aussi avoir sciemment favorisé l’action du commando résistant chargé d’exécuter Philippe Henriot.

    L’assassinat de Georges Mandel : les faits

    Le 3 juillet 1944, Knochen a reçu, en l’absence d’Oberg un télégramme du RSHA de Berlin annonçant la prochaine livraison aux autorités françaises de MM. Mandel, Blum et Reynaud, internés en Allemagne. Il en informe Knipping, délégué en zone nord de Darnand, et laisse entendre que le gouvernement français pourrait ainsi exercer à leur encontre des représailles en réponse aux attentats commis par la résistance, notamment contre Philippe Henriot. Knipping se met alors en rapport avec Darnand et Laval qui ont déjà été informés par Abetz, l’ambassadeur allemand, et ont vivement protesté contre une remise qu’ils ne souhaitent pas et une politique d’otages qu’ils réprouvent. En début d’après-midi Mandel arrive à la prison de la Santé et Knipping prend la décision de le transférer à Vichy dans un centre de séjour surveillé et géré par la Milice qui assurera le transfert. Quelques inspecteurs du Deuxième service et du service de sécurité de la Milice sont désignés pour cette mission, parmi eux Mansuy.

    À plusieurs reprises les auteurs insistent sur le respect scrupuleux de la méthode historique : « Le récit des événements que nous livrons ci-dessous a été établi à partir du dépouillement scrupuleux et méthodique de toutes les sources d’archives disponibles- dont beaucoup sont inédites ou ont été négligées- qui ont été systématiquement analysées, critiquées, croisées, comparées, pour en extraire des bribes de vérité disséminées parmi d’innombrables contradictions, oublis, élisions, mensonges, imprécisions, affabulations… » Vers 18h, le 7 juillet 1944, deux voitures de miliciens quittent Paris, avec Georges Mandel à bord de l’une d’elles, conduite par Mansuy. Peu après Fontainebleau, des à-coups amènent Mansuy à s’arrêter pour « vérifier la carburation ». « À l’évidence, Mansuy à simulé un problème de carburation ». La seconde voiture s’arrête également. « Mansuy soulève le capot du côté gauche du moteur, les passagers profitent de cet arrêt improvisé pour se dégourdir les jambes (…) Prenant vraisemblablement appui sur le toit de l’automobile, Mansuy tire à l’aide d’un 9 mm « Parabellum » sur Mandel qui lui présente alors son profil droit à une distance de huit-neuf mètres, 10 m au maximum (…) Mandel mort, allongé sur le ventre, est alors rejoint par Mansuy, qui, ayant fait le tour de la voiture, enjambe le corps et vide le reste de son chargeur en lui tirant (…) cinq balles dans le dos (…) Mansuy place un nouveau chargeur dans son automatique et tire sur l’arrière droit de la voiture. » L’auteur démontre la totale surprise des membres du groupe qui n’étaient donc pas informés de la mission de Mansuy, pas plus que ne l’était Knipping, chef de la Milice en zone nord. Ce qui pose la question de l’origine de l’ordre de tuer Mandel.

    L’assassinat de Georges Mandel : les responsables

    Ce ne sont pas les responsables du gouvernement de Vichy qui ont donné l’ordre. Lorsque les autorités françaises sont mises devant le fait accompli du retour en France de Mandel, Laval, qui a compris la manœuvre, est furieux, et réussit en partie à parer cette manipulation en faisant prévenir le comité d’Alger. Dès qu’il apprit la nouvelle de la mort, il ne fut pas dupe de la version officielle qui prétendait qu’elle était la conséquence d’une attaque de « terroristes », et il ordonna une enquête.

    « La thèse couramment admise par les juges de la Libération, les historiens, la mémoire sociale et les auteurs de tous les livres abordant la question concluent à la culpabilité de la Milice et notamment à celle de Knipping. » La Milice souhaitait la mort de Mandel et c’est un milicien qui l’a assassiné. Mais Darnand n’avait pas été mis au courant. Les auteurs réfutent l’hypothèse d’une décision prise au sein de l’état-major de la Milice par des proches de Darnand, miliciens et responsables de partis collaborationnistes, qui auraient été en accord avec des membres du Sipo-SD et qui auraient doublé Darnand. S’appuyant entre autres sur la relecture et l’exégèse hypercritique d’un document connu, ils proposent une autre hypothèse : les vrais commanditaires seraient les hommes du Sipo-SD parisien obéissant aux instructions directes du RSHA et des plus hautes autorités du Reich, qui auraient manipulé et guidé le bras de l’assassin, qui était l’un des leurs introduit dans la Milice.

    L’exécution de Philippe Henriot

    Ses talents d’orateur et l’audience de ses éditoriaux radiophoniques quotidiens faisaient de Philippe Henriot un véritable danger pour la résistance. Son exécution fut décidée au plus haut niveau et confiée à un groupe de résistants dirigés par Charles Gonard dont le pseudonyme était Morlot, un authentique résistant.

    Un indicateur signala que Philippe Henriot allait passer la nuit du 27 au 28 juin 1944 dans un appartement qu’il avait aménagé à l’intérieur du ministère de l’information dont il était le titulaire. Le commando s’y introduisit, l’exécuta, puis disparut. Le soir même, à l’heure habituelle de l’éditorial de Philippe Henriot sur les postes français, les auditeurs entendirent Pierre Laval annoncer la nouvelle de la mort du tribun. La protection du ministre incombait non à la préfecture de police mais à la Milice. L’enquête s’intéressa donc à l’emploi du temps de la victime pour essayer de déterminer les possibles informateurs qui avaient pu prévenir le commando de la présence du ministre. Une énorme récompense de 20 millions de francs fut promise, ce qui donna très vite des résultats : la Milice apprit le nom et l’adresse du plus proche collaborateur de Charles Gonard.

    C’est ici que l’histoire prend un tour nouveau et dérangeant. Il s’avère en effet que cet authentique résistant, ainsi que d’autres membres du groupe de Charles Gonard avait des activités de voyou et de truand. Il pratiquait le vol et divers trafics qui le mettaient en contact avec des miliciens aux mêmes activités, ce qui permit à ces derniers de lui tendre un piège à la faveur d’un rendez-vous où devait se monter une affaire de trafic d’or. Le résistant fut abattu par le milicien Mansuy. Les auteurs consacrent alors un paragraphe intitulé « la fabrique des héros » à la construction des mythes de la geste résistante. Ils opposent la réalité de ce personnage : trafiquant d’or et meurtrier en même temps qu’adjoint d’un important responsable de la résistance, avec le portrait qui en est fait dans la presse et dans les attestations qui composent son dossier pour l’attribution des titres de résistant. Ils font ensuite une étude du groupe constitué autour de Charles Gonard. Elle démontre «  les liens et les collusions, existant entre truands, souteneurs, trafiquants du marché noir naviguant entre résistance et collaboration  ». Ce qui les conduit dans un dernier chapitre à présenter d’autres curieux groupes de FFI constitués dans les jours qui précèdent la libération de Paris.

    « Malfrats, aigrefins, carambouilleurs, trafiquants notoires, paradant avec des galons FFI après avoir servi l’occupant sans état d’âme. »

    Dans le contexte du mois d’août 1944 il est facile de changer de camp et de monter des groupes de résistance. Collaborationnistes et truands se transforment en FFI et changent de cibles : après avoir volé les Juifs et autres clandestins, ils s’en prennent aux trafiquants du marché noir et autres « collabos », qu’il sera facile de soumettre car ils n’oseront jamais porter plainte. Les auteurs présentent ainsi avec une grande précision et force documents « ce groupement FFI improbable de la rue Alphonse-de-Neuville  », vers le 15 août 1944. Le chef en est Toussaint Sinibaldi, « le commandant Toussaint ». Petit truand avant-guerre, « sans le sou en 1940, il est multimillionnaire en 1944 (…) C’est un arriviste forcené, un escroc-né, d’un aplomb déconcertant ». Sa résistance et un « énorme bluff  » et sa demande de certificat d’appartenance à la résistance sera refusée en 1946. Il prétendra que son enrichissement était patriotique car il volait les Allemands pour financer la résistance ! L’étude des membres du groupe qu’il a rassemblé et qui se prétend FFI montre qu’il comprenait des miliciens (dont l’assassin de Mandel), des agents allemands du SD (convertis en « Alsaciens »), « de gros trafiquants du marché noir qui ont constitué des fortunes en revendant à peu près n’importe quoi aux Allemands », des proxénètes, quelques petits notables et militaires retraités qui décidèrent vers le 15 août « de sortir d’un attentisme prudent  » et auxquels le « commandant Toussaint » accorda immédiatement des grades de lieutenant, de capitaine et même de commandant (avec lesquels ils paradaient à l’Hôtel de Ville le 25 août), enfin quelques « vrais naïfs abusés, mais de bonne foi, en quête d’engagement patriotique tardif  », qui crurent avoir trouvé dans le « commandant Toussaint » un résistant de la première heure.

    Quand de vrais résistants perdent leurs repères moraux

    Après les « vrais malfrats jouant aux résistants  », les auteurs s’intéressent à quelques authentiques résistants qui n’eurent « apparemment ni difficulté ni complexe à se transformer en vrais truands pratiquant avec talent le vol, l’escroquerie, le chantage, le racket  », durant une période qui se prolongea longtemps après la Libération. L’étude porte sur « le 2e Bureau FFI », en août 1944 et dans les mois suivants. Son chef, le lieutenant-colonel Aron alias « Brunetière » est entré dans la résistance en 1941 et à exercé de hautes responsabilités et réalisé d’importantes actions. Son adjoint, le « commandant Pagès » est entré plus tard dans la résistance mais a exercé de hautes responsabilités au sein des MUR (Mouvements unis de Résistance) puis du MLN (Mouvement de libération nationale). Il était aussi très vraisemblablement un agent soviétique. Les deux hommes et leur groupe sont impliqués dans des affaires de vol, pillage, recel, extorsion de fonds, séquestration, rançon. Au prétexte de confiscation de profits illicites, ils s’appropriaient une partie importante des saisies et pratiquaient violence et torture.

    « Les années troubles de l’Occupation et plus particulièrement les semaines de l’été 1944 qui précèdent la Libération mettent à jour une complexité des êtres et des faits, des paradoxes bien éloignés de la saga héroïque qu’on a longtemps, trop longtemps, servie aux Français (…) Dans l’ambiguïté et l’ambivalence qui régnèrent jusqu’à la fin, les lignes ne furent jamais figées et restèrent d’une porosité qui permit des reconversions inattendues, sinon surprenantes (…) Comme il n’était pas question de jeter l’opprobre sur des « résistants », de discréditer et de salir « la Résistance », on expliqua toutes ces dérives, tous ces crimes par la nécessité et les inévitables dérives de l’épuration, du retour à la normalité, et on les a ensevelis sous l’épaisse couverture de la légende dorée d’un pays qui s’était libéré par lui-même et avait gardé dignité et honneur dans les années noires (…) La révolution documentaire que constitue l’ouverture des archives, et notamment celle de « la répression » (polices et justice), permet des études scientifiques qui nuancent largement les mythes entretenus par le silence et l’élision, parfois aussi le mensonge et la complaisance (…) Il est (largement) temps de regarder la vérité en face.  »

    © Joël Drogland


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